EGO NON MEMINI

 

« Je recherche avec une fièvre inlassable quelque chose qui manque » P. QUIGNARD, La nuit sexuelle.

Je dirais même que la recherche inlassable est celle de quelque chose, qui paradoxalement, doit manquer…

 

L’image initiale est manquante.

Dessiner, c’est chercher à circonscrire cette image terrible dont je ne me souviens pas (ego non memini), et que je ne peux à jamais qu’imaginer. Il s’agit de la mettre et la remettre en image, et de renoncer à pouvoir jamais m’en souvenir.

Ne pas se souvenir, accepter de ne pas avoir la mémoire de ce qui me fait être là et parler, c’est ce qui me permet en même temps d’être là et de créer et recréer toujours cet être-là qui serait le mien propre.

 

Dessiner, c’est écrire l’absence, écrire l’absence éternelle, délimiter l’impossible souvenir et surtout le réinventer pour en supporter l’absence.

Qu’y avait-il avant ? Ma question étant surtout : Qu’y a-t-il en dessous des couleurs ?

Soulever le voile des couleurs est bien trop dangereux, mais reste la possibilité de travailler les couleurs, de les réaménager jusqu’à atteindre un sens nouveau, un dire nouveau.

Ce sont les couleurs qui vont dire quelque chose de ce qu’il y a en dessous des couleurs, mais nul ne peut en supporter le total dévoilement…

Il faudra donc les faire danser, dans une valse structurée qui racontera l’histoire de ce qu’elles viennent recouvrir.

 

Pour moi sous le rose, il y aurait eu le bleu, aux entournures, aux articulations.

Parfois ce bleu transpire, réapparaît en transparence. Mais ce qu’il y a encore en dessous du bleu, c’est le blanc terrible qui n’est plus entouré de rien et qui oppresse.

Au contraire, le blanc au cœur des personnages fait respiration, marque l’interstice nécessaire au vivant.

C’est ce qui permet que l’encastrement ne soit pas total et que la singularité persiste.

 

Ce travail sur la couleur, c’est celui en même temps de la forme, de ce qui fait que nous ne sommes pas dans le Même et que les choses se distinguent.

Ce sont les couleurs et leur danse qui viennent marquer les contours des formes, qui sont extracteurs de formes.

Ce travail sur les couleurs, c’est ce dialogue permanent entre dévoilement et voiles nécessaires.

 

Camille Rozoy